Varia Mammalia & Historiographie
Cette rubrique rassemble des articles originaux courts qui ont trait comme son intitulé l'indique, à des découvertes mammaliennes (animal ou humain) aussi diverses que variées.
Concernant la détermination des restes dentaires de chevaux dans les sites archéologiques, les archéozoologues ou les paléontologues quaternaristes se basent sur des méthodes d'analyse certes continuellement revues et réactualisées selon des procédés de plus en plus sophistiqués mais souvent à partir d'anciennes méthodes relevant d'auteurs d'hippologie, de vétérinaires ou d'anatomistes. Ces derniers, parmi les plus classiques du XIXème siècle ont laissé des travaux de grande qualité, servant encore aujourd'hui pour la détermination de l'âge des équidés. L'ouvre savante des Cornevin et Lesbre en 1894 Traité de l'âge des animaux domestiques d'après les dents et les productions épidermiques est de mémoire l'un des manuels le plus complet et le plus sérieux depuis le XIXème siècle. Parmi les auteurs d'hippologie et de médecine vétérinaire du cheval on retrouve Goubeaux, A et Barrier, G. qui ont publié un gros ouvrage en 1884 De l'extérieur du cheval. Bourjelat, Cl., le créateur des écoles vétérinaires publia un ouvrage fondateur en 1761 Eléments de l'Art vétérinaire ainsi que le Traité de la conformation extérieure du cheval, de sa beauté et de ses défauts en 1769, Vallon, A. publia quant à lui en 1863 Cours d'hippologie à l'usage de MM. Les officiers de l'armée et bien d'autres encore sont souvent de précieux manuels de vétérinaires ou d'éleveurs de chevaux. Même si la portée de ces études ne sont pas la préoccupation première des archéozoologues, il n'en reste pas moins que le contenu de certains chapitres recèle des informations de grande importance non seulement par rapport à la question soulevée dans cet article mais également dans un domaine où l'historiographie de ces auteurs est nécessaire surtout aujourd'hui. Ibn Al-Awwam est de ceux-là.
Abu Zakkaryya Yahya ibn Muhammad ibn Ahmad ibn al-Awwam était un agronome arabe de Séville et a vécu dans cette ville andalouse dans la deuxième moitié du XIIème siècle. Son ouvre encyclopédique Le livre de l'agriculture (Kitab al-filaha) rassemble une somme considérable de données non seulement au niveau de la recherche agronomique et des expériences pratiquées à l'époque mais aussi dans des domaines aussi variés que la météorologie, l'élevage des espèces domestiques terrestres et volantes, le traitement des maladies des végétaux et des animaux domestiques. Il sera considéré comme l'agronome hispano-arabe le plus connu en Europe grâce à deux traducteurs, l'un espagnol José Banqueri (1745-1818, traduction 1802), l'autre français Clément-Mullet (traduction 1864-1867) qui ont réussi à transmettre une ouvre du Moyen Age arabo-musulman au monde latin à l'instar des canons de la médecine, de l'algèbre et des sciences naturelles. Des textes qui, comme le rappelle Mohamed El Faïz dans son introduction de la nouvelle parution du Livre de l'Agriculture, un Thesaurus d'Actes Sud, paru en 2000, ont été sauvés miraculeusement de l'incendie criminel qui a visé, en 1671, la destruction des manuscrits arabes entreposés dans le monastère espagnol de l'Escurial.
L'âge dentaire des chevaux, une méthode du Moyen Age
Parmi les différents articles qui traitent des signes caractéristiques de la beauté du cheval (nez, bouche, cou, poitrine, flancs, queue .) de son alimentation, de son entraînement ou des nombreuses maladies que développent les équidés en général, figure dans l'article 14 la Manière de reconnaître l'âge d'un cheval par la disposition des dents.
Le titre est mentionné ainsi : Manière de connaître, dans la disposition et l'état des dents d'un cheval et dans ce qui leur survient, les indices à l'aide desquels on peut déterminer son âge.
Le texte commence par l'énumération des dents vestibulaires ou antérieures puis des dents jugales. Il fait la différence donc entre les dents lactéales (temporaires) et les dents définitives (permanentes). Il introduit cette détermination dentaire de la manière suivante et de la plus académique qui soit : Sachez bien que tous les chevaux (ou bêtes de somme) sont pourvus de quatre (dents antérieures) pinces, quatre (dents) mitoyennes, quatre coins et quatre crochets (ou canines), puis les molaires.
L'éruption dentaire ou la poussée des dents chez le poulain commente Ibn al-Awwam commence par les pinces à partir du cinquième jour, au bout de deux mois, ce sont les mitoyennes qui apparaissent puis de huit à neuf mois les coins. Dès sa naissance, le savant nous rappelle toutes les appellations du cheval chez l'étalon et la jument. Au moment de sa naissance, le jeune cheval est appelé poulain, filw ou muhr ; pendant le cours de la première année jusqu'à ce qu'elle soit accomplie, il est dit poulain de l'année, ensuite il prend le nom de jadha, au pluriel jidha, au féminin jadha'a au singulier, jadha'at au pluriel, nom qu'il garde jusqu'à ce que la seconde année soit révolue.
Ainsi d'année en année, il décrit la chute des dents lactéales et leurs remplaçantes. L'observation anatomo-odontologique est précise. Ainsi il mentionne que lorsque les dents antérieures, les pinces, ont noirci et qu'elles sont chassées de leurs alvéoles, elles finissent par tomber. On dit qu'il a jeté ses dents (de lait). De cette période dentaire jusqu'à la fin de la troisième année, on appelle le poulain thani, féminin thaniyya. Assez curieusement, le thani qui veut dire le poulain de deuxième année s'applique également pour un individu de troisième année. Concernant les mitoyennes, si elles sont précoces, elles poussent également dans la même année. Pour un cheval de quatrième année appelé ribaî, l'auteur précise un renouvellement complet des dents mitoyennes. Les mâles sont ainsi appelés ribâ' et les femelles ribâ'iyya. Avec la cinquième année, les coins sont remplacés, il devient alors qârib, pluriel qurrab, féminin qârib ou qawârih. A partir de cette année, il est dit par l'auteur qu'aucune dent, autre que celles qui ont été décrites, ne sera remplacée, si elle tombe.
Et c'est à cette date que le cheval est nommé faras.
Vient ensuite un commentaire sur la distinction dentaire entre le poulain à différents stades de l'éruption dentaire et le cheval. Il est intéressant de livrer son texte tel quel :
Voici le moyen de reconnaître si le cheval a mis bas ses dents et de distinguer le poulain qui a posé ses pinces de celui qui a posé ses mitoyennes et de celui qui a posé ses coins. On examine les dents de cheval ; si quelques-unes ont été remplacées, la couleur n'est plus la même, elle tire sur le jaune, ce qui donne à la dent une teinte qui ressemble à celle de l'oripeau, qu'il conserve pendant toute sa vie. Chaque fois qu'un cheval perd une dent, celle qui la remplace sera plus grande que celle dont elle prend la place. Quand un cheval a pris huit ans, après avoir remplacé ses coins, ses dents s'allongent, ses crochets se déchaussent ; telle est l'organisation du cheval. Il arrive que la maigreur chez l'animal amène le déchaussement des dents ; mais c'est à leur longueur que se distingue le vieux cheval du jeune.
Cette courte description de l'âge dentaire du cheval, mais de la plus grande importance pour son époque et les siècles suivants, mentionne par ailleurs des études descriptives comparatives relevant d'autres auteurs. Il mentionne un auteur du nom de Kastos qui décrit qu'un poulain qui a atteint trente mois voit ses pinces des mâchoires supérieures et inférieures tomber. A quatre ans tombent les mitoyennes et poussent les crochets ou canines. Selon cet auteur, à six ans, la dentition est complète et le cheval a toutes ses dents égales et à sept ans, la limite de la croissance dentaire est atteinte. Mentionnons par ailleurs qu'en dehors de l'art dentaire, l'hippologie et l'hippiatrie sont bien développées dans les pays arabes dès le XIIème siècle avec de nombreux ouvrages (kitab al faras) sur la question.
Ibn al-Awwam cite également Aristote à propos d'une brève description sur l'âge et la physionomie du cheval à l'état jeune et à l'état vieux.
Sources:
Ibn Al-Awwam. Le livre de l'agriculture Kitâb al-Filâha. Traduction de l'arabe de J.-J. Clément-Muller revue et corrigée. Introduction de Mohammed El Faïz. Thesaurus, Actes Sud, 2000, 1027 p.
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